
Le STO : quand la France envoyait ses citoyens en enfer allemand pendant la Seconde Guerre mondiale
Quand on explore l’histoire familiale, on rencontre souvent des silences autour de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup d’ancêtres refusaient d’en parler, et pour cause : beaucoup ont eu des expériences comme le Service du Travail Obligatoire (STO), qui ont laissé des traces profondes. Mon père m’a toujours raconté que son grand-père (mon arrière-grand-père) gardait le silence sur cette période, que ce soit quand il était petit ou même en grandissant.
En recevant ses documents il y a quelques années, j'ai décidé de faire mes recherches sur ce qu'était le STO et j’ai compris pourquoi. Ces archives révèlent non seulement des faits historiques, mais aussi les épreuves endurées par nos ancêtres sous l’Occupation.
Le STO, ou Service du Travail Obligatoire, est une loi qui a été promulguée par le régime de Vichy le 16 février 1943, sous Pierre Laval qui collaborait avec les Allemands. Elle obligeait les jeunes hommes français, principalement âgés entre 20 et 22 ans (nés entre 1920 et 1922), à partir travailler deux ans en Allemagne dans des usines d’armement, des mines ou des chantiers comme le Mur de l’Atlantique. Ce service était présenté comme un "remplacement du service militaire". C’était en vrai un moyen pour les nazis de combler leur manque de main-d’œuvre pour soutenir l'effort de guerre. Les entreprises françaises étaient "invitées" à sélectionner les ouvriers qualifiés (comme les cintreurs ou les mécaniciens par exemple). Et le départ était obligatoire, sans véritable choix. Le refus pouvaient avoir de lourdes conséquences.
Une fois là-bas, les conditions étaient très dures avec des journées de 12 heures, de la sous-alimentation et un isolement total de la famille.
Mais avant d'entrer en détails, d'où ça vient le STO ? Eh bien, tout part de l’échec total de la "Relève", un plan lancé par Laval en juin 1942 pour faire plaisir aux Allemands. L’idée était d’envoyer des volontaires français en Allemagne : pour trois ouvriers partis, un prisonnier de guerre français était libéré.

Affiches de propagande pour la "Relève", mise en place par le régime de Vichy
© Service historique de la Défense, Vincennes
Seulement, l’appel n’a recueilli que 30 000 engagés sur 150 000 espérés, malgré une propagande insistante sur les dangers du bolchevisme. Et ajouter à ça le fait que les pertes allemandes sur le front de l’Est sont énormes avec la bataille de Stalingrad en février 1943, c’est la catastrophe pour Hitler, avec la 6e Armée allemande qui capitule et des centaines de milliers de soldats perdus.
Les usines du Reich manquent cruellement de bras, et Fritz Sauckel, chargé du travail forcé en Europe occupée, exige 250 000 Français supplémentaires. Malheureusement, Vichy cède et promulgue une première loi en septembre 1942 pour réquisitionner les ouvriers en France, puis une deuxième loi avec le STO en 1943 qui mobilise des classes entières. C’est une escalade assurée par l'échec de la Relève et la saignée allemande en URSS.

En tout, entre 600 000 et 650 000 Français ont été envoyés en Allemagne, auxquels s’ajoutent 250 000 prisonniers de guerre réaffectés au travail forcé. Dans des départements comme l’Ain, 2 500 hommes ont été réquisitionnés, dont 65 morts ou portés disparus. Et pour les réfractaires (ceux qui ont refusé), on en compte environ 240 000 en France, dont un bon tiers qui ont "déserté" après une première permission. Au total, environ 40 000 Français y ont perdu la vie, victimes de maladies, de bombardements alliés ou d’exécutions.
Les conditions étaient un vrai cauchemar, bien loin des assurances de Vichy qui parlait de "travail utile". Les baraquements surpeuplés (2 voire 3 fois la capacité maximale par dortoir) et insalubres, manquaient d’eau potable et étaient propices aux épidémies comme la tuberculose ou la dysenterie.
L’alimentation se résumait souvent à deux soupes liquides à base de légumes ou de pommes de terre, accompagnées de 300 grammes de pain par jour, et rarement un peu de fromage ou de viande maigre une fois par semaine. Cette sous-alimentation poussait beaucoup à voler des céréales ou des légumes dans les champs voisins (s'il y en avait), au risque d'intimidation, ou à compter sur les rares colis familiaux inspectés (contenant parfois du pain, du saucisson ou du chocolat) qui faisaient toute la différence quand ils arrivaient. Le marché noir jouait un rôle crucial pour se procurer un peu de viande ou de lait, mais ça coûtait très cher et risquait l’arrestation. Sans ça, beaucoup perdaient du poids rapidement, affaiblis par la faim et les maladies qui suivaient.
Côté sommeil, c’était un autre calvaire, surtout l’hiver avec des températures à -25 °C dans des régions comme la Thuringe avec les lits en bois superposés infestés de poux ou de punaises que j'avais mentionné plus haut où les baraquements étaient sans chauffage, humides et mal isolés. Les nuits étaient hachées avec le lever à 5 ou 6 heures pour l’usine, un retour tardif sous la surveillance des gardes, et des nuits entrecoupées par le froid glacial, les sirènes d’alerte pour bombardements alliés ou le bruit constant des toux et ronflements. Beaucoup se couchaient tout habillés pour se protéger, et l’hygiène minimale (pas d’eau chaude, latrines communes sales, toilette minimale) aggravait les infections respiratoires ou rhumatismes, comme dans des camps comme Rabstein (près de la frontière tchèque) où les inondations régulières rendaient les lieux encore plus invivables.
L’hygiène globale, comme tu as pu le lire, était déplorable, contribuant à un taux de mortalité plus élevé que chez les prisonniers de guerre à cause de maladies mal soignées, de blessures de travail négligées, et une surveillance de la Gestapo qui décourageait les plaintes. Vichy a essayé de faire bonne figure avec des "foyers sociaux" mais en réalité, ce n'était qu'une illusion.
Les journées duraient 12 heures, sous une surveillance équivalente à celle de prisonniers. Socialement, les réquisitionnées étaient traités comme une main-d’œuvre jetable. Ils avaient des salaires dérisoires, des permissions rares (et souvent supprimées après la première), et un sentiment d’humiliation constant.
Pour les punitions mineures (comme un vol de nourriture ou un retard), c’était l’isolement en cellule froide, des amendes ou pire encore, un transfert en camp disciplinaire où les conditions étaient encore pires (ce qui est inimaginable à ce stade). Les récalcitrants risquaient l’intervention de la Gestapo, avec interrogatoires violents.
Il y en a qui ont eu le courage de refuser le STO. Sauf que refuser le STO signifiait entrer en clandestinité. Environ 240 000 l’ont fait, se cachant dans les maquis, chez des fermiers (souvent déguisés en "cousins de passage") ou en rejoignant la Résistance. Mais les risques étaient immenses. La police de Vichy, la Milice ou la Gestapo organisaient des descentes, infligeant amendes (jusqu’à 100 000 francs soit environ 27000€ aujourd'hui), des peines de prison (jusqu’à 5 ans) ou des saisies de biens sur les familles. Pour briser la résistance, on réquisitionnait un proche (un père ou un frère) à la place du réfractaire. Une fois arrêté, c’était tabassages, tortures, exécutions (comme à Ruffieu en 1944, où sept réfractaires ont été fusillés) ou déportation vers Dachau ou Buchenwald, où des milliers périrent. La vie clandestine impliquait famine, froid et précarité, mais elle a paradoxalement renforcé la Résistance car ces jeunes ont gonflé les maquis, et des manifestations massives ont éclaté, comme à Oyonnax en mars 1943 avec 3 000 participants.
En recherchant le parcours de mon arrière-grand-père (classe 1942), j'ai vu qu'il était noté STO donc j’ai dû envoyer ma demande par mail pour pouvoir me faire envoyer ce dossier car, il n'était pas en ligne à ce moment-là (et ne l'est peut-être toujours pas). Quand le dossier est arrivé, la surprise a été grande car c'est seulement là que j'ai effectué mes recherches pour me renseigner vraiment sur ce qu'était le STO. Mon père m'a toujours dit que son grand-père refusait de lui parler de la guerre, comme si en reparler ravivait une douleur insurmontable. J’ai donc découvert qu’il avait été réquisitionné pour le STO en 1943. Cintreur qualifié, il a été choisi par son entreprise et envoyé dans un camp de travail, dans le Stalag III-B.
Normalement, je suis d'accord pour dire que dans un Stalag, il n'y a que des prisonniers de guerre mais ici, beaucoup ont fini par héberger ou annexer des travailleurs forcés comme les requis STO, via des "Kommandos" (sous-camps de travail) près des usines à mesure que le Reich manquait de bras. Ces Kommandos étaient des extensions des Stalags, situés près des usines ou mines, où les civils comme mon arrière-grand-père travaillaient côte à côte avec des prisonniers de guerre. Par exemple, des Stalags comme le Stalag IV-B (à Mühlberg) ou le Stalag VIII-B (à Lamsdorf) avaient des sections pour travailleurs étrangers, avec des baraquements mixtes et des conditions qui se dégradaient très vite à cause de la surpopulation, d'une hygiène inexistante, et une surveillance mixte entre Wehrmacht et SS. Ce n’était pas rare que les requis STO atterrissent dans ces structures, présentés comme des "camps de transit" ou de travail, même si leur statut officiel était civil. Vichy et les nazis jouaient sur les mots pour minimiser l’aspect "esclavage", mais sur place, la frontière entre les prisonniers de guerres et travailleurs forcés s’effaçait souvent.
De mémoire (j’ai égaré la copie lors de mon déménagement), un document mentionnait un séjour en infirmerie pour une maladie ou une blessure l'empêchant de travailler pendant un ou deux jours ainsi qu'un autre avec une seule permission (comme je l'ai mentionné plus haut dans l'article). Cela éclaire tant ce mystère, surtout quand on sait ce qu'il a pu endurer et voir pendant ces 2 ans.
Le STO a discrédité Vichy aux yeux de la population, alimentant la haine et la Résistance, et a été jugé comme un "crime contre l’humanité" à Nuremberg en 1946. Après la Libération, les réquisitionnés ont d’abord été stigmatisés comme collaborateurs, avant d’être reconnus victimes en 2008. Pour la généalogie, ces documents sont précieux : ils comblent les silences, détaillent les épreuves et humanisent les ancêtres. Ils nous aident à honorer leur résilience face à l’injustice.
Le STO, c’est une facette tragique de notre histoire (familiale pour certains), qui explique bien des non-dits. Ces archives ne sont pas seulement des listes de noms, elles lèvent le voile sur bien des mystères et des souffrances subies par certains de nos ancêtres.
Pour explorer ces archives, commence par les Archives départementales, les Archives nationales du monde du travail, où se trouvent les dossiers STO ou même les Archives Arolsen. Croise-les avec les fiches matricules pour repérer dates de départ ou camps. Si un refus est suspecté, consulte les actes notariés ou jugements pour traces d’amendes ou réquisitions.
